EXTRAIT :   Tandis que Djink clamait qu’il fallait boire à cela, à ce rire des amis qui fait fuir toute angoisse, et qu’il se dirigeait vers ses appartements pour y chercher le nécessaire, Nicolas se leva pour arpenter la grande salle de l’atelier. Jamais encore il ne s’y était trouvé seul ou du moins en la seule compagnie de sa foule silencieuse. L’histoire de l’œuvre de Danskine -Djink- s’y laissait lire avec une certaine transparence pour qui connaissait un peu l’histoire de sa vie. Souvenirs ou vestiges, quelques œuvres parisiennes, une dizaine tout au plus, géantes, l’avaient accompagné dans son retour au pays. C’étaient de grandes abstractions aux lignes pures fondées par et sur l’asymptote et qui témoignaient d’un véritable, immense, élan prométhéen. Élan humain fondamental visant sans doute à quelque haute vertu - soit qu’elle fut perdue, soit qu’elle fut depuis toujours recherchée - telle que pureté ou maîtrise. Ou mieux encore, car les incluant toutes : la disposition au Salut. Élan d’un russe, pensa Nicolas, perdu dans un monde occidental, élan d’un Occident, poursuivit-il pour lui seul, perdu dans l’univers. Les titres disaient l’Échappée, l’Éclosion ou le Disque Solaire. Pas étonnant qu’ils l’aient enrichi, songea-t'il, car il leur a montré ce qu’ils avaient oublié, ce qui était resté enfoui sous la laideur de leurs tours, de leurs voitures, de leurs idées, ce dont ils rêvaient et rêvent encore la nuit sans jamais plus pouvoir se le remémorer au petit matin : une beauté nouvelle. L’essence même de leur progrès.